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Nuit dramatique au pont de Blois

Un témoin raconte le naufrage d’une toue contenant des voyageurs auquel il a assisté.


« 16 février 1698

Sur les 8 à 9 heures du soir, par un très beau clair de lune, il y eut un  batelier assez brutal et mal avisé qui, voulant passer par dessous le pont de cette ville sans vouloir permettre à ceux qui étoient dans sa cabane de descendre, craignant le danger qu’il y avoit à cause de la grandeur des eaux, fut, au lieu de passer droit par la grande arche, donner du bout de ladite cabane dans un des piliers dudit pont, en sorte qu’elle se cassa  et brisa en pièces, tellement que tout ce qu’il y avoit dedans tomba au fond de la rivière et même les personnes qui étoient aussi dedans, au nombre de seize, desquelles il n’y eut que sept à qui l’on pût sauver la vie, les neuf autres ayant le malheur de se noyer, ne pouvant assez promptement les secourir. …

Les bateliers qui conduisoient ladite cabane s’évadèrent, voyant le tort qu’ils avoient eu de s’être mis au hasard de passer les ponts, la rivière étant si grande et par conséquent très dangereuse, tant par sa rapidité que pour le peu de clarté que la lune communiquait alors, n’ayant pas même voulu écouter l’avis que les bateliers de cette ville leur donnoient de ne pas passer. Il y avoit bien environ sur la rivière vingt toues, pleines de bateliers, pour tâcher de secourir ces pauvres malheureux voyageurs, lesquels ne purent en sauver que trois qui furent montés avec des cordes par-dessus les ponts ; il y en eut pourtant quelques uns qui eurent assez de force, lorsque par la roideur de l’eau ils furent jetés dans les moulins, de se grimper à des morceaux de bois, d’où avec l’aide des meuniers ils se sauvèrent par dedans les moulins. Parmi eux se rencontra aussi un marchand orfèvre qui avoit dans la cabane des richesses immenses, lequel se voyant la vie sauve et sachant que tout ce qu’il avoit étoit perdu et englouti par la fureur des eaux, dit :
“Il eut beaucoup mieux valu que je fusse noyé et perdu avec mes richesses que de rester, puisque je suis entièrement ruiné.” »

Publié par R. Porcher, “Fragments d’un journal blésois du XVIIe siècle”, dans la Revue de Loir et Cher, avril 1901 (n°160) à avril 1904 (n°196).

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