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Et le vin gela dans les tonneaux

Brr… -25°C. L’hiver 1709 a été si dur, si fortement ressenti par les contemporains qu’il est resté dans les mémoires comme le « Grand Hiver », appellation sous laquelle les historiens le désignent encore.

Le 6 janvier 1709, la nuit des Rois, une vague de froid déferle sur tout le territoire français accompagné d’une neige abondante. En Orléanais, la baisse de température est brutale : de 7,5° C le 4 janvier, elle passe – 7° C le 6 janvier, il fait. Le froid atteint – 25° C en Beauce le 13 janvier. Il perdure. Toute la France grelotte. Après un redoux le 21 janvier, le un froid intense reprend le 30 janvier et s’installe jusqu’au mois de mars. 

Voici deux témoignages[1].
Estienne Sallé, voiturier par eau et charpentier en bateaux d’Orléans, dont nous avons analysé le manuscrit, écrit :
« En 1709 il se passa un si rude hyver que les bleds, les vignes et les noyers furent tout gellées, ce qui causa une horrible dessere [débâcle] ou plusieurs Batteaux et Moulins [à bac] périrent. Ce qui causa aussi une cruelle famine, sans la semence des orges tout le peuple seroit mort de faim. Le pain de 9 livres [4 kilos et demi] a valu 36 sols et la pinte de vin 14 sols et 18 sols. Il a veu a Digoin au diocèse d’Autun que les pauvres de cet endroit se repaissoient du sang des animaux, des chiens, chevaux morts, tant la famine étoit cruelle et embrassée. On a conté en six mois de temps 800 d’enterrés dans le cimetière dudit Digoin, lequel étoit comme un champ labouré. À Nevers, il fut contraint de bénir les fossez de ladite ville, les cimetières nétant pas suffisans pour contenir tous les cadavres quil faloit enterrer. »
En tant que marinier, il nous laisse imaginer le spectacle de chaos et de désolation qui y règne, les bris de bateaux, les marchandises entraînées par les flots… 

Jean Desnoyers, chirurgien à l’Hôtel-Dieu de Blois :
« L’hiver a été très rude, le froid a commencé le jour des Rois, la rivière a été prise par la glace : tout le monde la passait par dessus. Toutes les vignes et tous les arbres ont été gelés en cet hiver le plus rude que homme ait vu. Les hommes et les animaux mourraient de froid ; j’ai eu à l’Hôtel-Dieu une grande quantité de pieds, jambes et mains gelés […].
Tous les coqs eurent la crête gelée, les poules mortes… Les blés furent tous gelés et furent labourés pour y semer de l’orge et bien en valut car ceux que l’on laissa furent tous rouillés et si on n’eut pas semé de l’orge, tout le monde serait mort de faim… La livre de pain [489 g], à Paris, [a valu] huit et neuf sols et celle d’orge quatre sols, et le pain à Blois, pesant douze livres avec la farine et le son, quarante sols, par bonheur il y avait des blés et du vin vieux. » 

Suivant les estimations de l’historien Marcel Lachiver[2], le Grand Hiver proprement dit aurait tué 45 000 personnes en janvier 1709 ; mais ce furent surtout la faim et les épidémies qui alourdirent le bilan : 298 000 morts en plus du contingent habituel. S’est ensuivie la baisse des mariages et des baptêmes en 1710. Au total, la crise aurait réduit la population de 630 000 personnes.


[1] « Le Livre d’Estienne Sallé voiturier par eau et charpentier en bateaux au temps de Louis XIV », 2022, Éditions La Salicaire. 

[2] Marcel Lachiver, Les Années de misère. La famine au temps du Grand Roi, 1991.

2 réflexions au sujet de “Et le vin gela dans les tonneaux”

  1. Ô combien précieux ces témoignages ! Il est vrai que le livre d’Estienne Sallé, est tout aussi passionnant par la proximité de sa voix, même si l’époque est hors du commun actuel. On se sent lié à ces vies passées. Merci Françoise pour ces rappels… et Bonne Année !

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